Muhlstein

Visa Recipients

  • MUHLSTEIN, Anatol P T
    Age 50
  • MUHLSTEIN, Anka
    Age 5
  • MUHLSTEIN, Diane née ROTHSCHILD P
    Age 33
  • MUHLSTEIN, Hélène Cécile P
    Age 4
  • MUHLSTEIN, Natalie
    Age 6

About the Family

The MUHLSTEIN family, Polish citizens, were in Bordeaux, France on June 16-17, 1940, and presumably obtained Portuguese visas from Aristides de Sousa Mendes.

They crossed into Portugal. Anatol MUHLSTEIN traveled on the Dixie Clipper seaplane from Lisbon to New York in July 1940. The rest of the family sailed on the vessel Nea Hellas from Lisbon to New York during the same period.

  • Photos
  • Testimonial

Testimonial of Anatol MUHLSTEIN

12/VI/40  Les routes offrent un spectacle lamentable: des milliers de voitures de toute sorte défilent, chargées de malles, de literie, d'ustensiles de ménage, leurs toits couverts de matelas, défense contre les balles des mitrailleuse.

13/VI/40 Parti pour le Pyla. Rencontré J. Errera à Bordeaux. Me suis concerté avec Diane au sujet du départ éventuel des enfants.

15/VI/40 Nouveau conseil des Ministres. C'est la crise: cabinet Pétain avec Weygand, d'autres généraux, Baudoin, Poenart, le premier aux Affaires, le second à l'Intérieur.  Prends mes visas espagnols.

16/VI/40 Arrive le matin à Bordeaux. Impression lugubre. C'est la défaite totale. Fais des démarches pour le visa américain. Pendant que j'attends au Consulat, Mowrer m'apprend la nouvelle de l'arrestation de Mandel. Cette fois, il faut partir.

17/VI/40 C'est la débâcle. Je fais partir Robert de Rothschild, Nelly et Cécile qui ont des places à bord d'un bateau anglais. J'arrive à Lafite pour leur dire un dernier "au-revoir". A proximité, je suis arrêté par une alerte. "Le commandant" me demande d'un air de compassion si je pars pour Biarritz. Sur ma réponse affirmative, il me dit: je connais la famille Rothschild, je vais vous faire passer. Ce brave homme est un curé.  Le soir, je file sur Biarritz où les Rajchman m'ont précédé.

18/VI/40 Vers midi, nous partons en caravane - 4 voitures - famille Rajchman, Mme Mowrer et nous pour la frontière espagnole. Vers 4 heures, les formalités sont finies. Nous couchons à Saint-Sébastien. C'est ainsi que commence notre vie de réfugiés. Anka et Tototte s'amusent et rigolent. Nathalie est triste. Elle comprend. Dieu sait ce que nous réserve l'avenir.

20/VI/40 Déjeuné chez le Ministre de Pologne: il est charmant et fait ce qu'il peut pour nous faciliter la situation. Il a obtenu un visa pour la nurse, ce qui tient du tour de force. Rencontré Edouard et sa famille devant le Palace, l'air lamentable.  Jacques Errera est parti ce soir, il sera demain à Lisbonne.  Les nouvelles de France sont confuses. On dit que le nouveau gouvernement est parti pour Pau et que le premier pogrom antijuif a eu lieu hier à Toulouse.  Demain matin, on partira.

21/VI/40 Sommes partis le matin, en caravane: les Rajchman, Lilian Mowrer et nous -- 4 voitures -- passé la nuit à Merida.  Le petit-fils de Rajchman, Michel, est malade.

22/VI/40 On se met en route à 9 heures. A 10 heures, on est à la frontière. Tout le monde est charmant avec nous: Espagnols et Portugais. Formalités réduites au minimum. On déjeune à Estremoz. Quelle différence avec l'Espagne! Pain blanc, viande à profusion. C'est l'abondance.  Vers 6 heures du soir, nous sommes à 6 kms de Lisbonne: ma Ford s'arrête. Très embêté. Un Portugais s'approche et me demande ce qui se passe. Il se met en quatre pour me rendre service. je veux lui donner un pourboire. Il refuse. Il finit par mettre la voiture en marche et me conduit à Lisbonne, à la Légation de la Pologne d'abord, puis à l'hôtel Francfort ensuite. C'est touchant. On trouve à se loger: deux chambres très primitives, mais pour nous, c'est le havre du salut.  Le Ministre de Pologne Dubicz me fait mauvaise impression. Il ne sait rien, ne peut rien. Ce n'est pas comme son collègue de Madrid.

23/VI/40 Première nuit à Lisbonne. Lits détestables, pas de salle de bain. Fini le confort, mais chose étrange, je n'en souffre pas. Je repousse de moi, non sans facilité, la vie ancienne.  Visite à la Légation de France, où je vois Panafieu. Nous courons pour trouver une place sur un bateau. On nous signale le "Nea Hellas" - nous réservons des cabines.  On voit défiler tant de gens: Français, Belges, Polonais. Chacun veut un visa et une place sur un bateau ou un Clipper. Mais le visa est aussi rare que la cabine. Les Américains ont reçu des instructions formelles: plus de visas.

24/VI/40 Déjeuné au Negresco: rencontré là-bas Van Zeeland, Van Cauvelaert, d'autres ministres belges, Jean Cattier. Toute l'Europe est là sur ce petit bout de terre qui achève l'Europe. Une seule poussée allemande et tout le monde est rejeté à la mer. C'est effrayant.  Marcel-Henry Jaspar était hier à une déclaration de la BBC. Aujourd'hui le gouvernement belge désavoue...  Des tas de Polonais sont ici: Wieniawa, Miedzinski. Je n'ai pas vu depuis longtemps cet Hitlérien à la manque. Aujourd'hui, dans le malheur, j'ai répondu à son salut!  On apprend tous les jours l'arrivée de nouveaux Français: j'ai vu Béranger, on dit que Reynaud est là. On me signale également André Meyer.  Le général de Gaulle fonde un Comité National Français à Londres: il est révoqué par le gouvernement français. On va tout droit à la constitution d'un nouveau gouvernement français à Londres. Il y aura deux France: la vieille enterrée par Pétain et Weygand et la jeune symbolisée par de Gaulle. Pauvre France! les capitulards croyaient sauver quelque chose en se rendant, ils ne sauveront rien du tout et, par dessus le marché, ils perdront l'honneur.  

25/VI/40 Ce matin - vaccination. Rencontré Jacques E. qui me parle de son projet d'envoyer Van Zeeland à Londres pour prendre la tête d'une sorte de gouvernement belge, Pierlot demeurant solidaire de la France de Pétain et voulant négocier avec les Allemands.

28/VI/40 Toujours pas de nouvelles au sujet des places. Vu André Meyer assez décontenancé par la politique de son ami Baudoin. C'est ce dernier qui lui a dit de partir.  Il fait des démarches pour avoir un visa américain. Ici, les gens n'ont qu'une seule préoccupation: visa, Clipper et bateaux.  Diane et les enfants sont allées s'installer à Cintra.  Ce soir, avec Rajchman, cinéma: mauvais film américain. Le Clipper réapparaît à l'horizon.

1/VII/40 Tout est arrangé ou presque: Rajchman et moi, nous avons promesse ferme de Clipper pour le 3, Diane et les enfants ont une bonne cabine sur le Nea Hellas qui part aussi le 3.

3/VII/40 Enfin, tout est arrangé: D. et les enfants se sont embarquées sur le Nea Hellas, beau bateau grec de 17 000 tonnes. Moi, je m'embarque demain matin sur le Clipper, si la météorologie le permet.  Hier, terrible émotion: les Américains ont annulé les visas antérieurs au 6. Les nôtres heureusement sont du 17.

4/VII/40 Ce matin, à 6 h.1/2 réveil: le Clipper part. Après un rapide petit déjeuner, on se dirige vers le port. A 10 h.35, le Clipper, monstre magnifique, tel un poisson énorme, s'ébranle, 11 minutes après, il décolle: en avant pour New York. Au port, rencontré pas mal de gens: Gibson, lady Michelham, Guy de Baillet qui m'annonce la triste nouvelle que la rue Laffitte n'a pas expédié les documents nécessaires pour débloquer les comptes.  Il est 1 heure maintenant. Le Clipper navigue au-dessus des nuages, calme, stable. On ne voit que le plancher cotonneux au-dessous de nous. Des stewards, élégants comme des officiers de marine, distribuent du whisky et des tasses de bouillon.  Un léger lunch est servi: poule au riz et compote de bonne qualité mais de quantité insuffisante.  L'après-midi s'écoule paisible. Lu quelques journaux américains. On a l'impression qu'ils commencent à comprendre.  Arrivé à Horta, après 7 heures de vol. On repart après 2 h. 1/2.

5/VII/40 Une nuit de vol - couchette comme dans un sleeping à peu près. Vers 5 heures du matin, heure Bermuda, à l'aube, arrivée à Bermuda. Ile charmante, blanches villas de tous côtés. On déjeune au port, et, après vérification des passeports, on repart.  A Bermuda, on nous dit qu'un engagement naval a eu lieu entre Français et Anglais: des bateaux français auraient été coulés. C'est affreux. Quel triomphe pour Hitler que cette bataille entre frères. Hélas, je prévois que les choses iront de plus en plus mal. Hitler ne se contentera pas de la défaite de la France. Il voudra encore l'avilir, en faire une esclave prête à tout.  Conversation avec Rajchman au-sujet du prochain travail du "Relief." Il est entendu - ce n'est que trop naturel - que sa primauté ne sera pas contestée par moi; et que, en outre, je m'occuperai spécialement des relations avec les organisations juives.  Arrivée à 12. Accueil à la douane fort aimable. Descendu au Waldorf-Astoria. Dans l'après-midi, visite chez Erich de Warburg: il se met à ma disposition, me conduit chez Morgan, m'offre de m'avancer de l'argent, ce que, heureusement, je suis en position de refuser. Ma carrière de réfugié commence dans des conditions favorables, mais, Dieu, que c'est amer de quitter la France.  Le soir, cinéma "Gone with the wind." Parti avant la fin, mangé un "hamburger" steak dans un restaurant populaire et rentré à l'hôtel à pied. J'ai envie de pleurer, tant je suis triste.